QUAND LE JAUNE VIRE AU NOIR
En 1937, le Ministère de la Culture Populaire fasciste
revient à la charge en déclarant que dans les romans « l’assassin ne doit absolument pas être italien et ne peut en
aucun cas échapper à la justice ».
Pour échapper
à cette censure plusieurs auteurs plantent le décor de leurs romans à
l’étranger : en France pour Ezio
d’Errico avec l’enquêteur Emilio Richard ou aux Etats-Unis pour Tito A. Spignol ou Giorgio Scerbanenco.
Augusto de Angelis quant à lui, avec le commissaire De
Vincenzi, en désaccord avec le régime fasciste, sera interdit de publication
puis incarcéré à la prison de Côme en 1943. Il décédera en 1944 peu de temps
après sa sortie.
D’autres en revanche, proches du
régime, n’hésitent pas à faire de la propagande profasciste ainsi que l’éloge
de la race italienne et de la politique du Duce.
En 1941, une nouvelle mesure ministérielle conduit le roman
policier à sa perte : « Le
Ministère (…) a décidé que, pour des raisons à caractère moral, la publication
des romans est soumise à son autorisation préalable. (Il) décide en outre de
retirer de la circulation les romans policiers déjà publiés et jugés nocifs
pour la jeunesse. Les éditeurs devront eux-mêmes pourvoir au retrait des
livres. »
La maison d’édition
Mandadori est contrainte d’interrompre sa collection I libri Gialli.
Une
dernière ordonnance du 31 juillet 1943 demande la saisie immédiate de tous les
romans policiers publiés et mis en vente.
A la fin de la
guerre, l’éditeur Mondadori reprend son activité en créant une nouvelle
collection spécialisée « Giallo Mondadori ». Un grand nombre d’auteurs
anglo-saxons interdits sous l’ère fasciste y seront édités, au détriment des
italiens.
LE POLAR ITALIEN SORT
DE L’OMBRE
Le renouveau
du polar italien intervient dans les années 60 avec Giorgio
Scerbanenco. Ses quatre romans du cycle Duca Lamberti restent un
véritable monument au milieu de l’abondante production de l’auteur. On notera
aussi le sicilien Leonardo Sciascia
et la dénonciation de la mafia. Dans les années 70/80, des auteurs comme Fruttero et Lucentini, Laura Grimaldi,
Loriano Macchiavelli ou Renato
Olivieri connaissent un succès populaire, à la fois en Italie et à
l’étranger. Macchiavelli et son célèbre brigadier Sarti Antonio connaîtront
même une adaptation télévisée à grand succès.
En 1982, Oreste del Buono, nouveau directeur de la
collection « il Giallo Mondadori » lance le prix Alberto Tedeschi couronnant le
meilleur polar italien. Loriano Macchiavelli, ou plus tard, Carlo Lucarelli et
Nino Filasto seront ainsi récompensés.
Dans les années 90, sous l’impulsion de
Macchiavelli, est créé le « Groupe
13 »
dans lequel on retrouve de nouveaux auteurs comme Marcello Fois ou Carlo
Lucarelli. Leur projet : faire vivre et enrichir la littérature policière
italienne. Ce groupe constitue une étape identitaire importante pour le polar
italien. Moins policiers mais plus noirs, les récits collent plus à la réalité
et on y trouve une critique sociale plus présente.
Cette
génération noire est décrite par Sandrone Dazieri (auteur et directeur de la
collection "Il Giallo Mondadori en 2004) : « Il s’agit de nouveaux écrivains qui veulent raconter leur pays, des
mystères, des événements, un point de vue non officiel avec un certain côté
social. Il y a une empreinte fortement sociale déclinée sur divers modes. Il y
a celui qui est plus littéraire, comme Marcello Fois, celui qui sait
parfaitement comment fonctionne la police, comme Carlo Lucarelli, celui qui
invente des ballades métropolitaines et joue avec les calembours comme Andrea
Pinketts, celui qui parle de la criminalité comme Massimo Carlotto et celui qui
est issu des centres sociaux comme moi. »
Deux
phénomènes, particulièrement, ont fait la popularité de la littérature
policière italienne :
L’auteur phare
du polar italien de ces dernières années n’est pas incarné par le plus jeunes
des écrivains. Andrea Camilleri, né
en 1925, s’est mis à l’écriture du polar dans les années 90. Il est devenu en
quelques années une véritable institution en Italie et à l’étranger. Il accède
à la notoriété grâce au personnage de Salvo
Montalbano, commissaire singulier, colérique et bon vivant. Chaque enquête
est un succès.
Enfin et même
s’il ne s’agit pas d’un roman policier, il faut mentionner « Gomorra ».
Dans l’empire de la camorra de Roberto Saviano. Saviano a enquêté pendant
plusieurs années sur les activités de la Camorra, l’organisation criminelle qui
règne sur Naples et toute la Campanie, ce qui lui vaut de vivre aujourd’hui
sous protection policière.
En conclusion,
si le polar italien a connu un parcours long et difficile, il a aujourd’hui sa
propre identité et est bien ancrée dans la réalité sociale et politique d’un
pays aux multiples facettes. Le Gialli a comme représentants des auteurs
engagés et singuliers, natifs des différentes régions d’Italie, ce qui fait son
originalité et sa diversité.