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vendredi 22 février 2019

Du jaune au noir (Partie 2)



QUAND LE JAUNE VIRE AU NOIR

En 1937, le Ministère de la Culture Populaire fasciste revient à la charge en déclarant que dans les romans « l’assassin ne doit absolument pas être italien et ne peut en aucun cas échapper à la justice ».

Pour échapper à cette censure plusieurs auteurs plantent le décor de leurs romans à l’étranger : en France pour Ezio d’Errico avec l’enquêteur Emilio Richard ou aux Etats-Unis pour Tito A. Spignol ou Giorgio Scerbanenco.

Augusto de Angelis quant à lui, avec le commissaire De Vincenzi, en désaccord avec le régime fasciste, sera interdit de publication puis incarcéré à la prison de Côme en 1943. Il décédera en 1944 peu de temps après sa sortie.

D’autres en revanche, proches du régime, n’hésitent pas à faire de la propagande profasciste ainsi que l’éloge de la race italienne et de la politique du Duce.

En 1941, une nouvelle mesure ministérielle conduit le roman policier à sa perte : « Le Ministère (…) a décidé que, pour des raisons à caractère moral, la publication des romans est soumise à son autorisation préalable. (Il) décide en outre de retirer de la circulation les romans policiers déjà publiés et jugés nocifs pour la jeunesse. Les éditeurs devront eux-mêmes pourvoir au retrait des livres. »
La maison d’édition Mandadori est contrainte d’interrompre sa collection I libri Gialli.

Une dernière ordonnance du 31 juillet 1943 demande la saisie immédiate de tous les romans policiers publiés et mis en vente.

A la fin de la guerre, l’éditeur Mondadori reprend son activité en créant une nouvelle collection spécialisée « Giallo Mondadori ». Un grand nombre d’auteurs anglo-saxons interdits sous l’ère fasciste y seront édités, au détriment des italiens.

LE POLAR ITALIEN SORT DE L’OMBRE

Le renouveau du polar italien intervient dans les années 60 avec Giorgio Scerbanenco. Ses quatre romans du cycle Duca Lamberti restent un véritable monument au milieu de l’abondante production de l’auteur. On notera aussi le sicilien Leonardo Sciascia et la dénonciation de la mafia. Dans les années 70/80, des auteurs comme Fruttero et Lucentini, Laura Grimaldi, Loriano Macchiavelli ou Renato Olivieri connaissent un succès populaire, à la fois en Italie et à l’étranger. Macchiavelli et son célèbre brigadier Sarti Antonio connaîtront même une adaptation télévisée à grand succès.




En 1982, Oreste del Buono, nouveau directeur de la collection « il Giallo Mondadori » lance le prix Alberto Tedeschi couronnant le meilleur polar italien. Loriano Macchiavelli, ou plus tard, Carlo Lucarelli et Nino Filasto seront ainsi récompensés.

Dans les années 90, sous l’impulsion de Macchiavelli, est créé le « Groupe 13 » dans lequel on retrouve de nouveaux auteurs comme Marcello Fois ou Carlo Lucarelli. Leur projet : faire vivre et enrichir la littérature policière italienne. Ce groupe constitue une étape identitaire importante pour le polar italien. Moins policiers mais plus noirs, les récits collent plus à la réalité et on y trouve une critique sociale plus présente.

Cette génération noire est décrite par Sandrone Dazieri (auteur et directeur de la collection "Il Giallo Mondadori en 2004) : « Il s’agit de nouveaux écrivains qui veulent raconter leur pays, des mystères, des événements, un point de vue non officiel avec un certain côté social. Il y a une empreinte fortement sociale déclinée sur divers modes. Il y a celui qui est plus littéraire, comme Marcello Fois, celui qui sait parfaitement comment fonctionne la police, comme Carlo Lucarelli, celui qui invente des ballades métropolitaines et joue avec les calembours comme Andrea Pinketts, celui qui parle de la criminalité comme Massimo Carlotto et celui qui est issu des centres sociaux comme moi. »

Deux phénomènes, particulièrement, ont fait la popularité de la littérature policière italienne :

L’auteur phare du polar italien de ces dernières années n’est pas incarné par le plus jeunes des écrivains. Andrea Camilleri, né en 1925, s’est mis à l’écriture du polar dans les années 90. Il est devenu en quelques années une véritable institution en Italie et à l’étranger. Il accède à la notoriété grâce au personnage de Salvo Montalbano, commissaire singulier, colérique et bon vivant. Chaque enquête est un succès.

Enfin et même s’il ne s’agit pas d’un roman policier, il faut mentionner « Gomorra ». Dans l’empire de la camorra de Roberto Saviano. Saviano a enquêté pendant plusieurs années sur les activités de la Camorra, l’organisation criminelle qui règne sur Naples et toute la Campanie, ce qui lui vaut de vivre aujourd’hui sous protection policière.

En conclusion, si le polar italien a connu un parcours long et difficile, il a aujourd’hui sa propre identité et est bien ancrée dans la réalité sociale et politique d’un pays aux multiples facettes. Le Gialli a comme représentants des auteurs engagés et singuliers, natifs des différentes régions d’Italie, ce qui fait son originalité et sa diversité.

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